les interdits

Faut-il dire "non" à son enfant ?
Patrick Delaroche : Bien sûr, c'est capital. L'enfant a besoin que ses parents l'aident à se dire "non" à lui-même pour ne pas faire n'importe quoi. Tout au long de sa vie, l'être humain est soumis à des pulsions auxquelles il a du mal à résister. Si on ne lui apprend pas très tôt à différer ou renoncer à son plaisir, l'individu sera sans cesse torturé par des besoins ou des désirs qu'il ne pourra satisfaire. Les parents doivent absolument aller dans le sens de ce principe de réalité, c’est vital. Une éducation sans interdit est proche du mauvais traitement. De plus, un enfant à qui tout est permis est un enfant angoissé. En effet, même s’il n’y est pas soumis, il sait qu’il existe des interdits pour les autres et a conscience de les transgresser. Il est alors en proie à l'angoisse et à la culpabilité.

A partir de quel âge l'enfant doit-il être confronté à l'interdit ?
Dès l’âge de huit mois, l’enfant commence à comprendre les interdits. Une mère peut définir des interdits à un bébé qui touche à tout, car il sait très bien ce qu’il fait. En revanche, certaines limites ne doivent pas être posées trop tôt au risque de perturber le développement de l‘enfant. Par exemple, une mère ne doit pas mettre son enfant sur le pot avant qu’il ne marche. Il existe un âge pour chaque interdit.

Le manque d'autorité peut-il engendrer des troubles du comportement ?
Absolument. De plus en plus d’enfants en manque de règles et d'autorité souffrent actuellement d’instabilité psychomotrice. On retrouve ce problème lorsque les parents sont dépressifs. Comme ils ont besoin que leurs enfants les aiment et s'occupent d'eux, ils leur permettent tout. Résultat : on a des enfants turbulents, qui ne tiennent pas en place et ont du mal à s'adapter à la société. C'est une conséquence directe du manque d'interdit.

Pourquoi les parents d'aujourd'hui ont-ils souvent du mal à dire "non" ?
Dans notre société actuelle, l'autorité paternelle a disparu. Nous sommes pris dans un mouvement qui tend à diminuer la place du père au sein de la famille. Les parents se replient de façon narcissique sur leur enfant qu’ils voient comme un prolongement d’eux-mêmes. Ils projettent en lui l’enfant idéal qu’ils auraient voulu être, un enfant qui mène une existence de plaisirs sans aucun interdit. En outre, les parents ont peur par-dessus tout de perdre l'amour de leur enfant. Pour lui plaire, ils lui autorisent tout.

Quelle est la répartition idéale des rôles entre le père et la mère ?
Cela dépend de chaque couple. Dans le modèle familial traditionnel, la mère incarne l'autorité immédiate. En d'autres termes, elle vérifie le comportement de l’enfant dans l'instant et le corrige en le grondant. Le père, lui, dispose d'une autorité plus médiatisée par la parole. L'enfant sait que son père pose des interdits pour son bien. La mère doit faire référence au père pour que l'enfant obéisse. En réalité, peu importe qui pose les interdits dans le couple. L'essentiel est qu'il existe un échange et un accord entre les parents sur les principes d'éducation, en l'absence de l'enfant.

Les parents séparés sont-ils moins sévères que les autres ?
En règle générale ils sont plus laxistes. Un père qui ne voit ses enfants qu’un week-end sur deux sera moins dur avec ses enfants, préférant passer des moments les plus agréables possibles avec eux. Leur mère se montrera également plus gentille, plus indulgente par peur qu’ils lui préfèrent leur père. C'est un comportement tout à fait compréhensible et humain. L'individu n'a pas envie que son enfant aime quelqu'un qu'il n'aime plus.

Comment interdire sans tomber dans l'autoritarisme ?
Je dis souvent à mes patients : "laissez vos enfants vous obéir". L'enfant a une propension naturelle à obéir, à accepter les interdits. Par ailleurs, si on a peur d’aller trop loin dans l’interdiction, je conseille le dialogue avec le conjoint. Cela permet de tempérer des principes, de trouver un juste milieu.

Peut-on revenir sur un refus ?
Bien sûr. Les parents ont tout à fait le droit de reconnaître qu'ils se sont trompés car il existe une vérité au-delà des parents et de l'enfant. En admettant son erreur, le père ou la mère montre qu'il est capable de raisonner. Il s'est rendu compte tout seul qu'il était trop sévère et a alors tout intérêt à revenir sur son refus. Dans le cas contraire, l'enfant va grandir et à l'adolescence, il risque de se rebeller contre ce qu'il considèrera comme un abus d'autorité.

Faut-il argumenter un refus systématiquement ?
Cela dépend de l'âge de l'enfant. Il est déconseillé d'expliquer un interdit à un petit enfant car il ne doit pas sentir ses parents indécis, hésitants, cela l'angoisse. La formule "C'est comme ça et pas autrement" le rassure parce qu'il a besoin de réponse catégorique. En revanche, il faut discuter avec l'adolescent. A partir de 12 ans, l'enfant devient adulte, le rapport de force évolue. L'adolescent dispose d'une intelligence conceptuelle, il est capable de raisonnement et peut relativiser ce que lui disent ses parents. Aussi est-il important de faire appel à sa raison lorsqu'on lui pose un interdit. Chez l'enfant, on fait appel à l'obéissance seulement. Il est essentiel de marquer ces étapes, surtout dans une fratrie. Tout le monde n’est pas égal. Si les petits disposaient des mêmes avantages que les grands, les enfants n’auraient jamais envie de grandir...

Claire Sassonia

 

http://www.linternaute.com/femmes/itvw/05/04delaroche.shtml